L’appel des religions contre l’homophobie
- Mis à jour : 7 mai 2010
Le 17 mars, soit deux mois jour pour jour avant la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, est paru un texte publié dans le journal LeMonde.fr. Cet appel a été co-signé par Olivier Abel, philosophe, Jean-Claude Guillebaud, écrivain, Tarek Oubrou, théologien, et Rivon Krygier, rabbin. Tous les quatre interpellent les responsables religieux de ce pays en les invitant à condamner clairement les violences et les discriminations que subissent les personnes homosexuelles et transsexuelles.
A l’occasion de la Journée contre l’homophobie et la transphobie, s’organisera un colloque à l’Assemblée nationale, sur le thème « Religions, homophobie, transphobie  ». C’est une première. Les responsables ici interpellés seront alors invités à répondre à cet appel du 17 mars.
Appel
Nous sommes plusieurs intellectuels de diverses confessions, inquiets des discriminations, des violences et des humiliations dont les homosexuels et transsexuels continuent à être l’objet. Bien éloignés de croire à un « sens progressiste de l’histoire  » qui serait en quelque sorte irréversible et fatal, nous sommes inquiets de voir cette tendance répressive augmenter. Au-delà des convictions spirituelles, éthiques et même théologiques, nous croyons que nos Eglises et nos confessions religieuses ont une parole publique commune à tenir à ce sujet. Elles en auront l’occasion, d’ailleurs, avec la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, qui aura lieu dans deux mois exactement, le 17 mai prochain, et dont le thème porte justement, cette année, sur les religions.
Il faut le dire, nos sociétés semblent plongées dans une crise qui est tout autant morale qu’économique. C’est peut-être ce qui explique, un peu partout dans le monde, l’appel à rétablir un certain ordre moral, qu’il soit religieux ou laïc. S’il ne s’agissait que d’un appel au sens éthique de chacun, au sens où l’éthique est une parole qui ne tombe pas d’en haut et ne s’impose pas, mais se communique de proche en proche de façon « résistible  », nous ne pourrions qu’applaudir. Que la crise en effet réveille des solidarités familiales, conjugales, amicales, qu’elle montre l’importance des fidélités mutuelles par lesquelles nous sommes engagés et attachés les uns aux autres, c’est possible, souhaitable, et important.
Mais cet ordre moral risque de se transformer en normes de droit qui légitimeraient plus d’exclusion et de violence, déjà perceptibles dans nos sociétés, à l’égard de ceux qui ont une sexualité différente de celle de la majorité. En effet, nous avons paradoxalement des secteurs entiers qui se « libéralisent  », et d’autres où se renforcent des peurs, des cloisons et des murs là même où jadis tout était plus souple, plus ouvert à l’art ordinaire de vivre ensemble. Nous avons le sentiment que dans chaque famille religieuse se trouvent le meilleur et le pire, c’est à dire des expressions qui appellent au refus de ces violences et de ces humiliations, et d’autres au contraire qui y incitent.
Il ne s’agit pas de lutter pour un droit : l’homosexualité et la transsexualité sont des faits qui, sous des noms et des figures divers, ont toujours existé et existeront toujours. Ce n’est pas un fait « pathologique  » à combattre, mais un fait dont il faut admettre l’existence. Que dans des sociétés où la différence des sexes est troublée par divers bouleversements sociétaux ou culturels, ce fait apparaisse sous un jour nouveau, qui fait peur ou suscite des espoirs irraisonnés, n’est pas non plus la question. Les discriminations, violences et humiliations qui frappent les homosexuels et transsexuels sont de toutes façons injustes à l’égard des personnes qui les subissent.
Nous en appelons à une déclaration commune, ou du moins à une expression claire de chacune des différentes confessions, ici en France, qui ne vise pas à demander pour les homosexuels et transsexuels le droit de se marier ou d’avoir des enfants, mais pour rappeler de façon solennelle l’importance de la lutte contre les violences homophobes et transphobes. C’est au plus haut niveau interreligieux que nous devons prendre la parole, rappeler les règles universelles des droits de l’homme, et ne pas laisser croire que nos Eglises et confessions religieuses sont complices de ce nouveau discours violent qui se répand, appelant à un ordre moral fantasmatique discriminatoire, et qui jamais n’avait existé comme tel.
Olivier Abel (philosophe), Jean-Claude Guillebaud (essayiste), Tarek Oubrou (théologien), Rivon Krygier (rabbin)